Accueillir un enfant est déjà un chamboulement majeur dans une vie. Parfois, sa venue au monde se complique, par exemple parce que le bébé doit être hospitalisé. Y a-t-il encore une place pour le portage et le peau-à-peau dans ces moments-là ? Portons-bébé interview Juliette Hérondart-Ninet, ancienne monitrice de portage, qui nous parle du rôle que le portage et le peau à peau ont joué dans les premiers jours de sa fille.
Peux-tu te présenter et présenter ton rapport au portage ?
J’ai 45 ans et je suis maman de trois enfants. J’ai eu deux garçons nés en 2007 et 2009, puis une fille en 2012, qui a été opérée à la naissance pour une malformation cardiaque découverte pendant la grossesse.
Je suis ravie de parler de portage, cela ne m’arrive plus très souvent. Pourtant le portage a coloré ma vie pendant près de 10 ans, parce que j’ai beaucoup porté mes enfants et aussi parce que j’ai accompagné des familles dans le portage et le maternage pendant plusieurs années. J’étais notamment monitrice de portage jusqu’en 2017.
Selon toi, quels sont les bénéfices du peau-à-peau dès la naissance ?
Ils sont vitaux, et malheureusement encore trop méconnus.
Ils servent à tout : à stimuler les fonctions vitales de l’enfant, celles physiologiques de la mère*(voir notes de bas de page), à nourrir les liens d’attachement avec le père*(idem), la fratrie, à booster le système immunitaire du bébé, à apaiser les pleurs de décharge du bébé, à mettre en route l’allaitement…
Idéalement, le nouveau-né ne devrait pas quitter la poitrine de sa mère pendant les premières 48h de sa vie, et passer uniquement sur celles de son père ou de sa fratrie le temps qu’elle aille aux toilettes. Surtout pas de douche pendant ce temps-là !
C’est très difficile de mettre ça en place dans nos sociétés. Les maternités ne sont pas organisées ni favorables à cela, la culture occidentale ne nous y prépare pas et beaucoup de nouvelles mères seraient envahies et débordées par cette absolue proximité avec leur nouveau-né.
Mais toutes les occasions de s’en approcher sont bonnes. Comme dans une asymptote de mathématiques : tendre vers, sans jamais y arriver tout à fait. Chaque pas vers un peau-à-peau total est un petit pas pour le couple parent-bébé en question, un petit pas pour l’humanité vers son retour à sa condition de mammifère (nous appartenons à la catégorie des petits portés actifs, à côté des nidicoles, des nidifuges et des petits portés passifs).
Quels sont tes conseils pour les parents qui appréhendent d’introduire du peau-à-peau parce qu’ils accueillent un bébé préma, ou pour qui les premiers jours sont très médicalisés ?
La prématurité est une spécificité à part entière et les services de néonatalogie d’aujourd’hui connaissent le peau-à-peau. Il y a de plus en plus d’unités kangourous et les soignants sont formés pour accompagner les parents dans cette démarche. Le peau-à-peau est intégré aux soins du bébé en fonction du stade de prématurité et de l’état de santé de l’enfant.
Je préfère m’adresser à tous les parents, et en particulier à ceux qui, comme moi, ont eu un bébé malade, mais pas prématuré, à ceux qui veulent s’y préparer car ils sont munis d’un diagnostic anténatal, comme à ceux qui tombent sans avertissement dans cette autre dimension d’un nouveau-né en péril.
Peau-à-peau, ça peut vouloir dire pas mal de choses différentes. Restons dans le sens littéral du terme : il faut que les peaux se touchent. Sans tissu entre la peau de la mère ou du père et celle du bébé. Cela sous-entend un contact total, très concret, très animal. Donc oui : avec les poils de papa, avec l’odeur de maman pas douchée. C’est cela qui doit être abordé et accompagné, l’aspect pratique « comment on fait » vient après, ou plutôt en découle. Selon ce que la mère souhaite, est prête à faire, ce que le père veut, souhaite, soutient, autorise, ce que l’entourage valide ou empêche, la culture, etc… On pourra trouver mille et une façon de « tendre vers » le peau à peau bénéfique au bébé et aux parents.
Faire du peau à peau, ça peut vouloir dire tenir son enfant dans ses bras. Le prendre dans ses bras, avec simplement des sous-vêtements, s’allonger avec le bébé contre soi. Ça peut être seulement laisser le bébé près du sein dénudé de sa mère. Ça peut être soutenu par un dispositif de portage. Ça peut être une séance de peau-à-peau total où tout le monde est “à poil”, les deux parents et le bébé… Il y a toutes les variations possibles et mon seul et unique conseil, c’est : informez-vous et faites ce qui vous paraît accessible et juste, dans le respect de votre confort, de votre « acceptable ».
Selon tes observations, ça leur fait quoi, aux bébés ?
Indiscutablement, ça les apaise. Plus un bébé est nourri de contact, moins il aura besoin de décharger. Le peau-à-peau peut se pratiquer pour calmer un bébé en pleurs, il peut aussi être vécu comme une pratique préventive, qui nourrit l’enfant et qui nourrit aussi les parents. Le “problème” principal des parents, c’est de se reconnaître compétent pour leur enfant (compétent ne voulant pas dire parfait, bien entendu). Le peau-à-peau est une alchimie des corps, et le corps sait, toujours.
Est-ce que tout le monde peut faire du peau-à-peau ? En pratique, comment on fait ?
Comme je l’ai dit plus haut, tout le monde peut le faire car il suffit d’un rien. J’ai fait du peau-à-peau avec ma fille hospitalisée, perfusée de toutes parts, simplement en posant un doigt sur sa cuisse car c’était le seul espace de peau qui était disponible. J’ai fait du peau à peau en imprégnant un lange avec du lait maternel que je laissais ensuite dans sa couveuse. J’ai fait du peau-à-peau en lui donnant un biberon sur ma poitrine nue. Etc…
Pour le portage, c’est pareil. Tous les parents pratiquent le portage, car tous les parents portent leur enfant dans leurs bras. Les porte-bébés ne sont que des dispositifs d’aide, et pour libérer les mains. Si tous les parents comprenaient, apprenaient comment un bébé se tient et comment on peut le tenir en le respectant, toutes les familles grandiraient mieux. Et il faut l’apprendre, puisqu’on l’a désappris culturellement et socialement. Il faut le réapprendre.
Tous ceux qui ont un rôle ressource auprès des parents devraient garder en ligne de mire cet enjeu unique de rendre les parents compétents et autonomes, de leur fournir de l’information, de l’écoute, des outils, et de les aider à se les approprier, à les rendre fonctionnels dans le système de couple, familial, culturel, religieux, social dans lesquels les parents évoluent.
Faut-il vraiment acheter un bandeau en plus de tout le reste ? Que penses-tu du bandeau de peau à peau proposé par portons-bébé.fr ?
Il faut faire attention au matérialisme de la puériculture. On peut faire la même chose avec l’écharpe ou le sling qu’on utilisera par la suite pour se déplacer. On peut faire la même chose sans un produit neuf à 40 euros.
Cependant, c’est un outil qui peut permettre à la maman ou au papa d’être en assurance, de se laisser aller et se détendre, et au bébé également. La contention ou contenance est un élément clé du portage sécure. Si l’un ou l’autre du duo parent-bébé ne se sent pas en sécurité, il ne pourra pas se détendre.
Finalement, tout ce qui peut aider à la construction du lien entre les parents et l’enfant est utile. Et s’il faut faire un cadeau de naissance, un bandeau peau-à-peau est plus intéressant qu’un énième doudou ou vêtement… Donc, oui, on peut mettre le bandeau dans la liste des équipements prioritaires (et tant pis s’il sert peu ou pas, parce qu’on pourra l’offrir à un autre bébé plus tard, et aider cette nouvelle famille à son tour).
Pour parler de celui qui est proposé sur le site, comme je suis hyper convaincue de la marque Néobulle, je fais confiance à la qualité du produit : fabriqué en France, coton bio, solidité et efficacité assurée.
Pour conclure : si on n’a pas prévu de porter ensuite, le peau-à-peau est-il quand même une bonne idée ?
Même si les parents n’utilisent plus de moyens de portage ensuite, ce contact des premiers jours aura été vécu. C’est comme l’allaitement. Un mois, c’est mieux que rien. Une semaine, c’est mieux que rien. Un jour, c’est mieux que rien. Une seule fois, c’est mieux que rien. C’est déjà tant pour l’enfant, et pour sa mère et son père.
* Je parle de mère dans la fonction biologique de celle qui porte, met au monde, allaite l’enfant, et qui devient la mère psychologique de l’enfant. Je parle de père dans le sens de co-parent, et dans la dimension masculine de sa fonction pour la construction psychique de l’enfant. Le genre de chaque parent importe peu à mes yeux, tant que les fonctions sont opérationnelles.